Holidays in the seum

Au grand concours des vacances de merde, je crois pouvoir en cette rentrée revendiquer une victoire à plate couture. Trois semaines de pur cauchemar. Même que j’en suis à multiplier les commentaires assassins sur le site de Transe-Travel, les empaffés qui m’ont entubé.

Avec Gisèle, on avait pourtant tout bien prévu. Réservation six mois à l’avance, petit coin de paradis, chiards chez leur mémé, la totale. On en salivait d’avance, s’assurant mutuellement qu’on allait en bouffer des escapades de rêve, des paysages chatoyants et des étreintes langoureuses sur rivages exotiques.

Penses-tu.

À peine avait-on débarqué à l’agence qu’on nous a annoncé qu’il y avait un problème : un dangereux virus informatique sévissant sur la petite île de notre choix, il était déconseillé de s’y rendre.

« Mais c’est pas interdit, hein ? », que j’ai contre-attaqué.

« Pas formellement », a reconnu l’employé, un petit barbichu affublé d’une hideuse queue de rat. « Cependant, il est de mon devoir de vous… », a-t-il tenté d’ajouter, coupé net par ma diatribe :

« Tût tût, mon bonhomme. Si c’est pas interdit, nous on y va. On n’a pas trimé toute l’année comme des connards pour tourner casaque face à un petit virus de mes deux. »

« C’est vous qui voyez, Monsieur », a admis l’autre tache.

« Tout juste, mon gars, que j’ai répondu. Alors branche-nous, c’est tout ce qu’on te demande. »

Il a attendu qu’on s’installe dans nos caissons d’isolation sensorielle, a branché les électrodes sur nos tempes, a refermé le couvercle, et bim, en deux temps trois mouvements on était partis – à nous le paradis.

*

Ce qui est bien avec les « congés-coma », c’est qu’on est sûrs de ne pas être emmerdés par d’autres enfoirés de touristes. On est tout seuls dans notre jardin d’Éden virtuel, le cortex certes endormi mais vivant chaque événement comme s’il était réel. Et tout ça en solo.

Le panard ultime.

On a pêché des homards, enchaîné les levrettes au coucher du soleil, bu des cocktails sophistiqués face à la mer, dansé sur le tube de l’été « T’es toute nue sous ton masque » ; bref, on a coché toutes les cases des vacances parfaites.

Sauf que ça n’a pas duré : dès le troisième jour, c’est allégrement parti en cacahuète.

Je venais d’émerger de notre case quatre étoiles, serein et dispos, quand j’ai entendu un barouf d’enfer derrière les dunes, comme une fusillade ponctuée de jurons.

Galopant en haut de la petite colline de sable, j’ai découvert un spectacle pour le moins déplaisant : trois jeunes armés de kalachnikovs s’entraînaient au tir sur des cibles représentant un rappeur célèbre, un certain Baboo je crois. `

« T’as vu comment que j’l’a défoncé dans l’œil l’autre baltringue », a gueulé l’un des crétins, bruyamment félicité par ses potes neuneus.

Furieux, j’ai dévalé la dune en gueulant : « Mais bordel qu’est-ce que vous foutez là, les morveux ? »

La suite ? Lamentable : ça a rapido monté dans les tours, au point que l’un d’eux m’a exécuté d’une rafale en plein bide.

« Je meurs », ai-je platement soufflé, avant de rejoindre la surface du monde réel.

*

« Je vous avais prévenu », m’a lancé Mister queue de rat, quand j’ai commencé à lui gueuler dessus. « Le virus informatique dont je vous parlais fait que les vacances virtuelles des usagers de notre service se télescopent. Là vous êtes tombés sur des adeptes de la team Kaaris voulant passer leurs vacances à buter Booba. »

« Mais putain, moi je veux juste buller en paix avec ma femme ! C’est trop demander ? »

« J’vais voir c’que j’peux faire », a susurré l’autre minable.

« Bah t’as intérêt mon con. »

Il a pianoté, retouché quelques branchements, puis m’a renvoyé au paradis.

*

« Ah bah tu t’emmerdes pas, dis donc ! C’est comme ça que tu portes le deuil ? »

En revenant, sûr que j’étais vénère. Faut dire que Gisèle était posée pépouze sur la plage, sirotant du lambrusco avec un genre de cow-boy, un adepte du sanglant jeu vidéo Red Dead Redemption qui se la jouait Brad Pitt.

« Calme-toi mec, c’est les vacances », m’a lancé ledit garçon vacher.

Vibrant d’indignation, je lui ai balancé deux trois vérités bien senties, dont il ressortait qu’il pouvait bien se faire cuire le cul avec son attirail de péquenaud des steppes.

Une chose en entraînant une autre, le type a fini par me descendre d’une balle en pleine tronche.

Comme un goût de redite.

*

Ça a continué comme ça un moment. Chaque fois que je revenais après avoir été virtuellement buté, je trouvais Gisèle en train de roucouler avec un ou plusieurs connards horripilants. Il y a notamment eu ce surfeur qui m’a massacré à coups de club de golf, puis toute une palanquée de bikers qui m’ont fini au poing américain. Je n’en finissais pas de faire des allers-retours.

Et puis j’ai fini par avoir un doute. Je ne suis peut-être pas une lumière, mais il y a toujours un moment où je tilte quand on se fout de ma gueule. Et là ça me semblait un peu gros. Alors, à ma douzième mort, défoncé par un sumotori hawaïen particulièrement vénère, j’ai passé la queue de rat sur le grill.

« Dis-moi, Mongolito, t’aurais pas omis de me dire quelque chose sur ce prétendu virus ? »

Le mec a tenté de nier, mais je voyais bien qu’il bafouillait, pas à l’aise. Alors j’ai continué sur ma lancée.

« Genre, pourquoi c’est toujours moi qui meurs et pas Gisèle ? »

L’enfoiré a fini par avouer. Ma chère et tendre était passée à l’agence peu avant notre départ, avec des instructions express. Elle voulait modifier nos virtuo-vacances, histoire de rencontrer d’autres personnes et de souffler un peu. « Vous comprenez, je le supporte déjà toute l’année, ce beauf, alors pour les vacances je voudrais bien des horizons différents », lui aurait-elle confié.

Ensemble, ils avaient donc inventé cette histoire de virus pour expliquer l’afflux de beaux mecs aux environs – et mes multiples décès.

J’en suis resté comme deux ronds de Flanby.

Gisèle ? Ma Gisèle ? Mais elle m’adore, cette greluche.

Alors j’ai repensé à nos dernières vacances et je me suis souvenu de quelques moments où, peut-être, j’avais été un peu autoritaire et gueulard. Normal, je suis un sanguin. Deux secondes, j’ai failli me remettre en question, puis j’ai vite écarté ça de mon esprit pour me focaliser sur ce qui s’avérait beaucoup plus prometteur : ma vengeance.

« Voilà comment on va procéder, tête de nœud », j’ai lancé au débilos, en me frottant les mains.

*

« Alors, mon amour, tu kiffes tes vacances ? »

Perché sur un tyrannosaure, j’ai regardé ma femme se faire dévorer vivante par un ptérodactyle droit jailli des cieux.

Le pied.

Ensuite, j’ai eu quelques heures de répit, à plonger dans l’océan et tailler des bavettes avec mon pote T-Rex.

Puis Gisèle est revenue, armée d’un lance-flamme et accompagnée d’une armée de zombies affamés.

Le début d’une longue guerre.

Très longue.

Vacances de merde.

*

Picasso, « Joueurs de ballon sur la plage » (détail), 1928

*

Cette nouvelle a été publiée dans le numéro de septembre 2020 du mensuel CQFD, sommaire ICI.

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